Divisions et indécisions dans les hautes sphères, une routine

L’habitude était prise, les banques centrales allaient régler tout cela, mais cela n’a pas marché ! La Fed a eu beau baisser en éclaireur son taux principal, elle a donné un coup d’épée dans l’eau. Les Bourses ont continué à flancher et Donald Trump dont c’est le baromètre lui a demandé de le baisser encore. Cela renvoie à une inconnue : comment remédier à une rupture des chaînes d’approvisionnement ?

Certes, les banques centrales ne sont pas totalement à court de minutions, elles peuvent injecter des liquidités supplémentaires dans le système bancaire, sous condition de renforcement du crédit, mais elles ont raté l’occasion d’agir de concert afin de renforcer leurs interventions. Elles ne sont pas capables de répondre de manière coordonnée à une menace mondiale. La palme de l’attentisme revient à la BCE, tandis que de son côté la Banque du Japon n’a pas attendu pour agir.

Les divisions ont primé lors du G7 finances d’hier et ne vont pas manquer de se renouveler lors de la conférence téléphonique de l’Eurogroupe d’aujourd’hui. Le ministre français Bruno Le Maire appelle à « une relance budgétaire », limitant son ambition à ce qu’elle figure dans le communiqué final. Sa concrétisation, s’il l’obtient, sera une autre paire de manches si l’on veut qu’elle ne soit pas symbolique comme c’est le cas en Italie. Car, sans surprise, le blocage allemand subsiste, se faisant sentir aussi bien au sein du G7 que de l’Eurogroupe. La politique de rétention budgétaire européenne est le fil qui soutient la coalition gouvernementale à Berlin et il ne faut pas le rompre.

Aux divisions désormais routinières s’ajoute une grande indécision. Combien de temps la pandémie va-t-elle se poursuivre en aveugle, et sous quels délais peut-il être espéré le rétablissement des chaînes d’approvisionnement, une fois la production des usines chinoises laborieusement relancée ? Le temps presse, car les aides aux entreprises subissant des pertes doivent être financées et les capacités budgétaires européennes sont restreintes. Ce qui conduit l’ancien vice-président de la BCE Vitor Constâncio à suggérer à une Christine Lagarde semblant dépassée, le lancement par ses soins d’un programme supplémentaire d’injection de liquidités afin de soutenir les petites et moyennes entreprises, les banques appelées comme d’habitude à jouer le jeu.

En attendant, deux descriptions de la situation s’affrontent. Certains s’émeuvent de « l’hystérie collective » qu’ils constatent, sans vouloir comprendre qu’il est récolté la peur dont ils jouent, en faisant référence aux achats massifs de papier toilette au Royaume Uni ou aux vols de masques chirurgicaux dans les hôpitaux français. Le coronavirus ne déclenche selon eux qu’une épidémie de plus, qu’ils comparent aux précédentes ou à la rougeole et à la grippe pour en relativiser l’importance. D’autres annoncent la probabilité grandissante d’une récession mondiale, épinglant la forte tendance récessive qui touche la Chine et les États-Unis, ces piliers de la croissance globale, le Japon étant déjà en récession et l’Italie s’y acheminant.

Toutefois, les faits sont là : tous les secteurs économiques sont à un degré plus ou moins prononcé, victimes des perturbations affectant les chaînes de production et d’approvisionnement, directement ou bien indirectement comme le tourisme et le transport aérien et maritime. Celui des nouvelles technologies, ce secteur phare sur lequel il est tant compté, est de loin le plus touché. Apple, Microsoft ou HP figurent parmi les victimes. Non seulement en raison du lent redémarrage des entreprises chinoises, mais également des sud-coréennes. Les valeurs boursières des GAFA ont en conséquence particulièrement plongé, atteignant également Facebook et Google.

Un peu de prospective. Quelle que soit l’issue des événements en cours, il peut être escompté une révision de la mondialisation. Et, s’il n’est plus possible de continuer la délocalisation de la production comme avant, sa relocalisation entrainera une hausse des coûts de production facteur d’inflation. Mais il ne faudra pas crier au miracle, car la hausse des taux qui s’en suivra déséquilibrera le système financier en faisant craquer l’édifice de la dette.

Chaque problème en son temps…

3 réponses sur “Divisions et indécisions dans les hautes sphères, une routine”

  1. Tou à fait en lien à ce billet , et mon estime d’ « intérêt public » , je propose en lecture partielle cet article MDP (Médiapart) :

     »  »  » La Banque publique d’investissement va éponger les pertes du CAC 40
    4 mars 2020 Par Laurent Mauduit

    La Banque publique d’investissement fait naufrage. Créée pour soutenir les projets d’investissement de long terme, elle va mobiliser de l’argent public pour voler au secours des groupes du CAC 40 dont les cours boursiers ont baissé.

    C’est un bien étrange capitalisme que celui défendu par Emmanuel Macron. Un capitalisme où à tous les coups l’on gagne, en tout cas si l’on est dans le camp des milliardaires ou des actionnaires. Si la Bourse s’envole, c’est le jackpot ! Car les groupes du CAC 40 servent à leurs actionnaires des dividendes qui, année après année, ne cessent de s’envoler et qui, avec la « flat tax » inventée par le chef de l’État, sont désormais très peu imposés. Et si la Bourse baisse, c’est encore le jackpot. Pour une raison qui est toute nouvelle et renversante : la Banque publique d’investissement (BPI France) a décidé de voler à partir de la fin du mois d’avril au secours de ces mêmes groupes du CAC quand leurs cours boursiers baisseront.

    Pour comprendre ce que cette idée a de choquant, il faut se souvenir de l’ambition qui a présidé à la naissance de BPI France. C’était l’une des idées défendues par François Hollande avant l’élection présidentielle de 2012 qui avait du sens, et qui ne cédait pas à la doxa néolibérale. Elle partait du constat que la finance avait dérivé au fil de ces dernières décennies vers les activités spéculatives et qu’il était urgent, à défaut de renationaliser le crédit, de créer au moins une banque publique qui finance les projets de long terme, ayant une utilité stratégique pour le pays ou pour préparer l’avenir.

    Le projet semblait d’autant plus cohérent que tous les leviers de la politique publique financière ont été privatisés au fil des ans : le Crédit national a été cédé aux Banques populaires ; Ixis, filiale de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), a fait l’objet d’un rapt perpétré par les Caisses d’épargne. Et lorsque ces deux banques, Banque populaire et Caisse d’épargne, ont fusionné sous l’effet de la crise financière, elles ont mis en commun tous ces actifs pour créer Natixis, la filiale ultraspéculative de BPCE, dont l’histoire récente ne cesse d’être émaillée d’irrégularités.

    En créant la BPI, l’État pouvait donc reprendre la main et afficher des ambitions industrielles de long terme, en des temps où l’industrie est si malmenée par les marchés.

    Las ! Quand Nicolas Dufourcq prend la tête de BPI France en 2013, la banque, contrôlée à 50 % par l’État et à 50 % par la CDC, va progressivement se transmuter en un établissement bancaire quasi banal et progressivement délaisser ce qui semblait devoir être ses missions d’intérêt public. Question de tempérament : le patron de la banque publique a dans le passé accompagné la première filiale internet de France Télécom, dénommée Wanadoo, vers la Bourse, en réalisant donc la privatisation d’un actif public. Il est de ce point de vue très semblable à Emmanuel Macron : avec lui, c’est le privé qui fait la loi.Les deux hommes sont d’ailleurs très proches.

    … ( … ) …

    Cette proximité entre Emmanuel Macron, ancien banquier d’affaires, et Nicolas Dufourq, qui a piloté la privatisation de la filiale stratégique de France Télécom, est importante à connaître, car si elle n’avait jamais existé, jamais le patron de la banque prétendument publique n’aurait osé cette transgression consistant à voler au secours du CAC 40. Car il y a quelque chose de très macronien dans cette transgression.

    Ainsi, le patron de BPI France court depuis quelques jours micros et caméras pour annoncer la bonne nouvelle aux patrons du CAC 40 : la banque publique se met à leur service si d’aventure leur cours de Bourse chute, et mobilisera à cet effet beaucoup d’argent, dont de l’argent public.

    Sur BFM Business, le 3 mars, Nicolas Dufourcq a ainsi expliqué que BPI France allait créer un fonds dénommé Lac d’argent qui serait doté de 4 milliards d’euros pour démarrer fin avril et qui mobiliserait ultérieurement jusqu’à 10 milliards d’euros, le tout devant servir à prémunir les groupes du CAC 40 contre la volatilité des marchés. Le patron de la banque n’a pas voulu donner les noms des premiers bénéficiaires de ces largesses. Il a juste précisé : « Ce sont toujours les entreprises qui nous appellent. Nous ne passons pas de coups de fil aux entreprises. » Une étrange réplique qui s’apparente à une invite à l’adresse du CAC 40 : « Venez ! Frappez à notre porte ! À BPI France, c’est open bar… »

    Un peu avant, le 26 février, à l’occasion d’une rencontre avec l’Association des journalistes économiques et financiers (on peut consulter un compte rendu sur le site de France Culture) le même Nicolas Dufourcq a indiqué que sur les 10 milliards d’euros, 8 milliards seraient apportés par des investisseurs privés, dont 1 milliard apporté par le fonds souverain d’Abu Dhabi, tandis que les 2 milliards complémentaires seront apportés par la BPI. Autrement dit, il s’agira d’argent public. « Pour réunir 10 milliards, on n’a pas le choix, a expliqué le directeur de la BPI. Il faut aller chercher des fonds à l’étranger, auprès des fonds asiatiques, du Golfe, des fonds de pension canadiens et américains, car en France nous n’avons pas de fonds de pension, et les assureurs sont limités par les règles européennes Solvabilité II. »

    Réaction indignée – et tellement justifiée ! –, mardi, de ma consœur Martine Orange, sur Twitter, quand elle a découvert ce que devenait la BPI : « Le but d’une banque publique d’investissement n’est pas de soutenir des cours boursiers mais des projets d’investissement. Que les cours des groupes du CAC 40 décrochent lors d’une correction boursière, cela fait partie du risque, de la nature même du capitalisme. »

    … ( … ) …

    Car telle est bien la situation : au lieu de faire ce pourquoi elle a été créée – financer le long terme –, la BPI met à disposition sa structure publique, et de l’argent public, pour protéger les milliardaires du CAC 40 d’une possible instabilité boursière. Un argument est même utilisé, qui laisse pantois : selon les promoteurs du projet, son but pourrait être aussi de protéger ces groupes du CAC 40 d’OPA toujours possibles, quand les cours chutent.

    Mais la mauvaise foi saute aux yeux, car, si c’était vrai, il faudrait sur-le-champ suspendre la valse des privatisations, qui a précisément conduit à ce que des joyaux de l’industrie française soit croqués sur un coup de bourse, à la manière de Péchiney.

    Non ! La vérité est plus sombre que cela : la BPI s’est transmutée en une sorte de banque d’affaires et ne défend plus l’intérêt général mais les appétits privés. Pour faire bref, elle est devenue l’assureur du CAC 40, dans une sorte de Monopoly scandaleux où les citoyens sont les éternels payeurs et les groupes du CAC 40 les grands gagnants .

    1. [Note à la modération : j’essaie de ne pas exciter la polémique, mais… Il est difficile de résister au pétage des fusibles. (Je préfère : ‘péter le joint de culasse’. Mais trop daté. Les joints de culasse sont indestructibles maintenant.)]

      BPI. En voilà une magnifique idée : elle achète quand les actions baissent. Parfait. Encore 2 ou 3 crises exogènes, ou de celles dont nous parle François, et elle va se retrouver propriétaire de l’ensemble de la bourse, ou du CAC40 .

      Rêvons.
      Je pose la question : De toutes les conneries anti-sociales commises par notre financier-président (j’ai pas dis cocaïnomane , j’ai pas de preuves) sera-t-il possible de revenir en arrière ? Et si possible, mais c’est beaucoup demander, engager l’action en vue du progrès social.
      Remettre la BPI sur ses rails originelles ne devrait pas être impossible. A défaut, la couler corps et biens si elle est trop impliquée dans une finance auto-destructrice. La petite industrie attendra sa renaissance.
      Mais la retraite 49.3, -qu’une grande majorité des ‘gens bien’ dit qu’elle scandaleuse, pour faire court-, sera-t-il possible de la démolir et revenir au raisonnable, en particulier prendre en compte les petits salaires ?

      L’ouragan d’hyper-libéralisme, fasciste, éborgneur et mutilateur (de mains) que nous fait subir notre financier-président (cocaï… encore une fois : non) aura une fin. Dans 2 ans environ. Faudrait se préparer à reconstruire.

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